mercredi 8 juillet 2009

Souveraineté imaginaire

Libre opinion - Souveraineté imaginaire

Mario Polèse, Professeur à l'INRS Urbanisation, culture et société

Le Devoir, mardi 7 juillet 2009

Je me permets, au lendemain de la fête nationale, 50 ans après la mort de Duplessis et les débuts de la Révolution tranquille, de livrer quelques réflexions sur ce qu'il convient d'appeler la question nationale. Mon souci: faire avancer le Québec et, aussi, la cause du français en Amérique.

Je crois que l'idéal de souveraineté -- indéniablement l'un des moteurs de la construction du Québec moderne -- est devenu un frein. Je comprends la séduction exercée par les mots «liberté», «indépendance» et «souveraineté». L'adéquation entre «liberté» et «État souverain» est ancrée dans les mentalités. De toute évidence, s'affranchir des idées reçues n'est pas chose facile.

En 1963, Raymond Barbeau écrivait: «La thèse que nous soutenons est la suivante: l'infériorité économique des Canadiens français est la conséquence fatale de leur situation d'impuissance politique dans la Confédération.» Nous savons aujourd'hui que Barbeau s'est trompé; moi aussi d'ailleurs, car à l'époque je pensais que l'indépendance était nécessaire pour sortir les Canadiens français de leur statut d'infériorité et pour sauver la langue française.

Je ne relaterai pas ici l'historique du cheminement parcouru depuis 50 ans, un renversement sans précédent dans la condition d'un peuple et d'une langue. Il suffit de constater que les Québécois forment aujourd'hui l'un des peuples les plus prospères, les plus créateurs et, j'ose le dire, les plus libres de la planète: nous faisons l'envie de bien des nations.

Cela étant dit, je propose un regard sur l'option souverainiste sous trois angles: les pouvoirs du Québec, la langue et le territoire.

Le Québec est aujourd'hui loin de l'État chétif du temps de Duplessis. Il a plus de pouvoir et de ressources que bien des États souverains. Après l'indépendance, je tiens pour acquis que les Québécois souhaiteraient garder une monnaie commune et la pleine liberté de mouvement et de commerce avec le Canada. Cela signifie une union économique, encadrée par un traité. Il est impossible de connaître à l'avance le contenu d'un tel traité, mais pour peu qu'on observe les principes d'une union économique, il est probable qu'il soit tout aussi contraignant pour l'État québécois que la constitution fédérale actuelle, et tout autant source potentielle de tensions entre Québec et Ottawa.

Les politiques commerciales et monétaires resteraient communes et l'obligation d'harmonisation fiscale ne serait pas moindre. La liberté des États n'est plus ce qu'elle était. Ce que le Québec gagnerait en marge de manoeuvre serait, selon toute probabilité, assez limité. Le principal gain assuré serait sa personnalité internationale; le Québec aurait son siège à l'ONU.

Pourtant, le rapatriement de pouvoirs est resté au coeur de l'argumentaire souverainiste, comme s'il y avait beaucoup de pouvoirs à chercher. C'est une douce illusion. Les débats sur la culture restent, somme toute, assez abstraits. Qui veut vraiment scinder Radio-Canada?

La langue maintenant. La souveraineté va dans les deux sens. Ottawa ne pourrait pas plus intervenir au Québec en matière linguistique. Mais l'inverse serait tout aussi vrai. Les Québécois ne pourraient plus (par l'intermédiaire du Parlement fédéral) intervenir pour protéger le français dans le reste du Canada. Les Acadiens et les autres minorités francophones ne pourraient plus compter sur le poids politique des Québécois. Il y a 30 ans, on pouvait penser que les Acadiens allaient de toute manière disparaître; mais ils sont toujours là, et bien là. Il est peu probable, je l'estime, que le français resterait une langue officielle dans un Canada sans Québec.

Le territoire. Voici une question qu'on préfère éviter sous peine d'être taxé d'alarmiste. Elle est réelle pourtant, plus encore qu'il y a 30 ans. Je ne parle pas de la menace partitionniste (anglophone), que j'estime surfaite. Je parle des nations autochtones, surtout des Cris et des Inuits, dont les territoires couvrent la moitié du Québec. Lors du référendum de 1995, elles ont massivement appuyé le «non», résultat reconfirmé par des référendums propres.

Ce serait sans doute la même chose la prochaine fois. Les nations autochtones ne sont plus les peuples effacés, invisibles, d'autrefois. Dans une contestation juridique (ou autre), il y a fort à parier que l'opinion internationale leur serait acquise. S'ils choisissaient de rester en dehors d'un Québec souverain, je ne vois pas ce que Québec pourrait faire pour les retenir: envoyer l'armée? Voyons! Des déclarations sur l'inviolabilité du territoire québécois n'ont pas grande valeur en l'absence des moyens sur le terrain pour l'imposer. Aucune envie d'ouvrir cette boîte de Pandore.

Le fédéralisme comporte aussi des avantages, précisément parce qu'il laisse la place à des peuples dont les identités et les géographies se chevauchent. Quelle autre formule nous permet de réconcilier l'aspiration (légitime) d'un État québécois fort et le désir, tout aussi légitime, d'un grand espace économique et politique? Je n'en connais pas. Toute formule politique (réaliste) devrait s'accommoder de souverainetés partagées.

Pour moi, le Québec n'existe pas moins parce qu'il fait partie d'une fédération. Je ne ressens aucune contradiction, aujourd'hui, entre mon nationalisme québécois et mon attachement au Canada (le Canada aussi a changé).

De grâce, mettons de côté les discours démobilisateurs! [...] Pas besoin de chercher plus loin pour trouver les racines de l'immobilisme actuel de la société québécoise. Toutes les idées, ou presque, pour renforcer le français au Québec (le français comme condition de citoyenneté, assujettir le fédéral à la loi 101...) sont compatibles avec le fédéralisme. Pourquoi les affaiblir en les enveloppant dans une démarche souverainiste?

Je rêve que nous puissions faire des Québécois le peuple le plus instruit, le plus en santé et le plus prospère d'Amérique. L'histoire des 50 dernières années me dit que ce n'est pas un rêve impossible. Mais, entre-temps, que d'énergies perdues et de talents gaspillés au nom d'une souveraineté imaginaire!

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