mercredi 16 février 2011

Quelle plume!

Un jour, je voudrais écrire comme ce monsieur :

Le Devoir
Libre opinion - Le roi est nu
Jean-François Bissonnette, Ottawa 16 février 2011

Il y a de ces moments où le tissu des évidences qui habille notre quotidien se déchire, laissant apparaître à travers l'échancrure cette possibilité toujours latente, la liberté. Le temps est suspendu, l'habitude fait place à l'étrangeté, et affleure alors à la surface du jour, perçant à travers des couches d'humiliations sédimentées, le désir de se réapproprier la vie. Qu'est-ce qui fait advenir de tels moments? Par quelles voies mystérieuses la liberté s'avère-t-elle?

Il aura fallu qu'un homme laisse son désespoir s'enflammer, un jour de décembre sous les jasmins de Tunisie, pour que de son corps immolé s'exhale un parfum de promesse. Ce feu qui le consuma s'est depuis répandu d'un bout à l'autre du monde arabe, feu de joie et de colère, et de ses cendres renaît, ailée, la parole d'un peuple trop longtemps étouffée.

Plus rien ne tient de ce qui, hier encore, paraissait immuable. Le fardeau de la nécessité que les années avaient alourdi ne pèse plus, et des millions d'échines pliées sous son joug se redressent soudain. Nulle violence ne parvient à ébranler leur refus. Aussi buté qu'une mule, le peuple s'arrête et fait d'une place où d'ordinaire tout circule, le lieu où désormais l'ordinaire s'échoue.

Les vieux dictateurs auront bien cherché à amadouer la foule en laissant tomber, de-ci, de-là, quelques concessions, autant de miettes dont ne veulent plus que les chiens dociles. Ils n'auront pas compris que le peuple ne mange plus de ce pain-là, car il n'y a plus que l'espoir pour combler le vide des estomacs. Et de l'espoir, il n'y en a guère à la table des puissants.

La liberté qui éclôt, c'est la vérité qui triomphe. La domination ne se soutient que des illusions qu'elle distille et qui la font paraître irrécusable. Or, voici que le monstre sacré qu'il fallait craindre se révèle n'être qu'un fantasme. Le roi est nu. Sa magie n'opère plus, et il se montre enfin tel qu'il est, tel qu'il a toujours été: rien, ou rien d'autre, du moins, que la créance qu'on lui a trop longtemps accordée.

Le roi est nu. Dans le conte d'Andersen, c'est l'enfant, à qui on n'a pas encore enseigné la peur et la convoitise, qui clame ce que chacun feignait de ne pas voir. Dans les foules du Caire et de Tunis, la même innocence juvénile, la même pureté des commencements, et peut-être, aussi, le même besoin de se tourner vers un père pour qu'il confirme ses impressions.

Se peut-il que la révolution en vienne à s'illusionner à son tour? Que l'effervescence du soulèvement conduise à la torpeur? Que le désir de liberté appelle une autre servitude? Le tyran tombé, déjà la vie reprend son cours. Le vent de la protestation avait décoiffé le régime, on lui refait une nouvelle tête. On promet une «transition ordonnée», on calme les inquiétudes, on temporise. Et peu à peu se referme l'espace qui s'était ouvert, et où, fugacement, on entrevit que tout était possible.

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